A chaque fois que le pouvoir impérial était menacé dans l’histoire de la Chine, des mesures exceptionnelles devaient être adoptées. « Gouverner de derrière le rideau » était une de ces mesures prises pour maintenir le pouvoir impérial.
Du début de la dynastie Ming à la fin des Qing, soit sur une période de 5 siècles, la Cité interdite fut progressivement transformée en un palais impérial sans équivalent. Pendant cette même période féodale, le pouvoir d’Etat fortement centralisé connut en Chine son essor, puis son déclin pour finalement disparaître.
Avant la dynastie Ming, le terme pour désigner le premier ministre était Zaixiang. En tant que chef des fonctionnaires civils et militaires, il était si puissant qu’un édit impérial pouvait être invalidé s’il ne portait pas sa signature. Avec un tel pouvoir concentré entre les mains d’une personne, les conflits avec l’empereur étaient inévitables. Après la fondation de la dynastie Ming par Zhu Yuanzhang, ce dernier abolit le poste de Zaixiang et établit un nouveau système de pouvoir.
En 1402, l’empereur Chengzu de la dynastie Ming, qui venait de s’emparer du trône occupé par son neveu, prit deux décisions pour consolider son pouvoir: il transféra d'abord la capitale à Beijing, son aire d’influence dans le passé. Ensuite, il institua le Nei Ge, le grand secrétariat : une institution consultative compétente pour les affaires de l’Etat.
Dans le passé, le premier ministre possédait le vrai pouvoir de décision : le pouvoir de discuter des affaires de l’Etat et le pouvoir administratif. Mais avec l’établissement du grand secrétariat par l’empereur Chengzu, ce dernier contrôlait étroitement le processus de prise de décision. Le pouvoir de discuter des affaires de l’Etat était entre les mains du grand secrétariat et le pouvoir administratif était divisé entre six ministères. Au niveau des gouvernements locaux, trois départements étaient en charge du judiciaire, du militaire et de l’administration. Ils étaient directement responsables devant les six ministères.
Sous le contrôle de l’empereur Chengzu de la dynastie Ming, le grand secrétariat et les six ministères fonctionnèrent correctement. Les ordres administratifs les plus importants étaient dictés par la Cité interdite et étaient relayés à 1.936 postes reliés entre eux par des postes routiers sur plus de 143.700 kilomètres. De cette manière, chaque ordre était transmis à tous les coins de l’empire.
Sous le règne de l’empereur Xuanzong de la dynastie Ming, un système plus complet fut établi : toutes les requêtes destinées au trône, qu'elles soient courtes ou longues, et même les pétitions des gens les plus humbles, étaient collectées par le Bureau des Transmissions et soumis à l’empereur par le Directorat des Cérémonies. Après lecture par l'empereur, elles étaient transmises au Grand Secrétariat, responsable pour rédiger des remarques. Puis, le Directorat des Cérémonies remettait ces remarques à l’empereur pour approbation. Finalement elles étaient passées en revue par les six sections du Bureau de l’Examen des Officiels, avant d’être transmises aux échelons inférieurs.
Les remarques du Grand Secrétariat, qu’on appelait Piao Ni, étaient écrites sur un morceau de papier collé sur l’avant des requêtes. L’empereur écrivait ses instructions ou commentaires qu’on appelait Pi Hong à l’encre rouge. Cependant, selon les règlements, l’empereur n’inscrivait ses instructions et ses commentaires que sur certaines requêtes. La plupart des commentaires de l’empereur étaient donc écrits par les eunuques du Directorat des Cérémonies pour le compte de l’empereur. Dans le passé, il était interdit d’éduquer les eunuques mais l’empereur Xuanzong de la dynastie Ming non seulement modifia ce règlement mais établit également une école spéciale pour eunuques dans le palais impérial. On en déduisit plus tard que l’empereur Xuanzong avait voulu utiliser les eunuques pour limiter le pouvoir du Grand Secrétariat. Quoi qu'il en soit, avec le temps, un paysage politique plutôt étrange vit le jour.
Sous la dynastie Ming, la structure organisationnelle de la Cour intérieure et celle de la Cour extérieure respectaient une symétrie stricte. Le Grand Secrétariat dans la Cour extérieure était le pendant du Directorat des Cérémonies dans la Cour intérieure. Il y avait également trois départements judiciaires interdépendants dans la Cour extérieure et une agence d’espionnage sous la direction des eunuques et des gardes impériaux. Il y avait des gouverneurs, des grands coordinateurs impériaux envoyés par la Cour extérieure et des eunuques en réserve qui pouvaient être envoyés par la Cour intérieure. De cette manière, la Cour intérieure et la Cour extérieure fonctionnaient sous un système de « contrôle réciproque », ce qui assurait le monopole du processus de prise de décision par l’empereur. Pourtant, ce système également déboucha sur une lutte pour le pouvoir et le profit entre les deux principales forces politiques : la Cour extérieure et la Cour intérieure.
Sous la dynastie Ming, le bâtiment dans la partie orientale de la Cité interdite était appelé la Tour de la Connaissance profonde et réunissait les bureaux du Grand Secrétariat. Sous le règne de l’empereur Wanli, Zhang Juzheng, Grand Secrétaire, transforma cet édifice de la Cité interdite en un lieu de pouvoir très influent. Avec ses bureaux , le Grand Secrétariat devint de facto le lieu de décision des affaires de l’Etat.
En apparence, la routine des affaires de l’Etat restait inchangée, mais le pouvoir de décision avait été transféré. Comment Zhang Juzheng était-il parvenu à ses fins ?
D’abord, l’empereur Wanli n’était qu’un petit garçon à l’époque et Zhang Juzheng était le précepteur de l’empereur, position qui lui permettait d’exercer une influence certaine sur les décisions impériales. Ensuite, les commentaires de l’empereur Wanli étaient transcrits sous la direction de Feng Bao, chef du Directorat des Cérémonies qui entretenait une relation étroite avec Zhang Juzheng. Ce dernier donnait des instructions pour qu’une requête soit écrite sur un sujet selon son point de vue et l’approuvait ensuite au nom de l’empereur.
De cette manière, les requêtes des ministres, les commentaires rédigés par le Grand Secrétariat et les commentaires de l’empereur étaient effectivement contrôlés par Zhang Juzheng: situation plutôt inhabituelle dans l’histoire chinoise. Tous les desseins politiques qu’il nourrissait purent ainsi être mis en œuvre sans obstacle.
Comme le Directorat des Cérémonies contrôlait le pouvoir d’écrire les commentaires impériaux, les eunuques étaient impliqués dans la gestion des affaires de l’Etat. Une lutte de pouvoir se développa et s’aggrava entre les eunuques et le Grand Secrétariat pour finalement exploser en 1506.
A la fin de l’automne 1506, les eunuques du Directorat des Cérémonies se ruèrent entre le Palais de la Pureté céleste et le Grand Secrétariat. En effet, l’eunuque Liu Jin était devenu très puissant et le Grand Secrétariat avait décidé de l’accuser de certaines malversations. Pourtant, l’empereur Zhengde n’avait pas publiquement pris position sur la question. Les officiels du Grand Secrétariat avaient décidé de se livrer à une épreuve de force le jour suivant à la cour. S’ils ne parvenaient pas à se débarrasser de Liu Jin, les membres du Grand Secrétariat allaient démissionner.
Le jour suivant, la cour se réunit comme d'habitude sur la place de la Porte de l’Harmonie suprême mais l’empereur Zhengde ne s’y présenta pas : c’est Liu Jin qui vint à sa place. Il était responsable des chevaux et avait été nommé majordome du Directorat des Cérémonies. L’empereur se montrait hostile au Grand Secrétariat.
En fait, l’allié des eunuques en arrière plan n’était autre que l’empereur lui-même. Accuser un eunuque d’avoir acquis la faveur de l’empereur menaçait le pouvoir impérial lui-même, ce qui était intolérable .
A partir de ce jour-là, tous les documents officiels importants de tout le pays étaient soumis d’abord à Liu Jin et ensuite seulement ils étaient transmis aux six ministres et au Grand Secrétariat. Mais comment Liu Jin avait-il obtenu le pouvoir d’écrire les commentaires pour l’empereur ? La réponse est simple : l’empereur Zhengde passait son temps à monter à cheval et à chasser avec ses aigles, il avait même fait tenir un marché dans la Cour intérieure et il s’habillait en marchand pour s’amuser. Liu Jin, malin, ne demandait à l’empereur son avis sur les affaires de l’Etat que lorsque celui-ci avait envie de s'amuser. Chaque fois l’empereur exprimait son impatience en disant : « Ne m’ennuie pas avec ce genre de choses ! » Liu Jin pouvait ainsi écrire les commentaires impériaux sur les requêtes de la cour pour le compte de l’empereur.
Nous ne savons pas si les fonctionnaires de la dynastie Ming tremblaient de peur lorsqu’ils passaient la Porte du Midi, mais on sait que 23 officiels furent fouettés après l’arrivée au pouvoir de Liu Jin.
On distinguait deux types de « flagellation d’un officiel de la cour »: fouetter avec cœur et fouetter sévèrement. Un individu fouetté avec cœur pouvait être sérieusement handicapé si la chance se retournait contre lui. Mais ceux qui étaient fouettés sévèrement n’avaient aucune chance de survivre. Pour savoir si un officiel devait être fouetté légèrement ou sévèrement, il suffisait de voir la position des doigts de pieds du superviseur des punitions. Si les doigts de pieds était ecartés, on ne le fouette pas à mort ; mais si les doigts de pieds était fermés, le suplice pouvait entraîner la mort.
Les eunuques jouaient clairement un rôle important dans la politique sous la dynastie Ming, mais ce n’est que sous le règne de l’empereur Tianqi que leur pouvoir atteignit son apogée. A l’époque, il y avait 100.000 eunuques dans le palais.
L’empereur Tianqi ne pouvait pas bien dormir à cause de l’un de ses eunuques, Wei Zhongxian. Ce chef des eunuques ne vivait pas très loin de la résidence de l’empereur et s’endormait souvent tard. Lorsqu’il faisait sa toilette, il faisait beaucoup de bruit avec son bassin en bronze, sans se préoccuper de déranger l’empereur. Mais le pouvoir de cet eunuque était tellement important que les gens durent lui souhaiter une vie longue de 1.000 ans, puis de 9 000 ans et finalement de 9 999 ans. Dans la Chine ancienne, le souhait d’une vie longue de 10.000 ans était réservé à l’empereur.
Depuis le début de la dynastie Ming, le centre du pouvoir se déplaçait entre ces lieux et le transfert du pouvoir entre des mains différentes eut une influence importante sur le destin de cette dynastie. A l’intérieur des murs du palais, les conspirations et les luttes de pouvoir étaient fréquentes.
Après les efforts de plusieurs empereurs, un système complet d’administration des affaires de l’Etat avait été mis en place. On peut dire que ce système était parfait en terme d’équilibre des pouvoirs, et même qu’il était supérieur aux systèmes politiques occidentaux mis en place plus tard. Le système du Grand Secrétariat et de son chef, apparu sous le règne de l’empereur Chenghua de la dynastie Ming, était un prototype du système occidental d'un cabinet et du premier ministre.
Dans les dernières années de la dynastie Ming, ce système changea complètement. La dynastie sans l'appui d'un tel système se révélait être un bâtiment dont la structure était faible : sa chute était donc inévitable.
La deuxième année du règne de l’empereur Chongzhen, Huangtaiji à la tête de 100.000 cavaliers mandchous contourna le col de Shanghaiguang gardée par Yuan Chonghuan. Il prit d’assaut Zunhua et lança une attaque surprise sur Beijing. A la tête de ses troupes, Yuan Chonghuan défendit Beijing. L’empereur Chongzhen pensait qu’il voulait attaquer la capitale de concert avec les Mandchous. Lorsque Yuan Chonghuan décéda de mort non naturelle, de nombreuses troupes Ming se rendirent aux Mandchous. Les troupes stationnées dans l’est du Liaoning se demandaient : « Le général était loyal, mais il n’a pas pu être épargné. Pourquoi devrions-nous continuer à résister ? »
Selon les archives historiques, le jour avant la prise de Beijing par Li Zhicheng , l’empereur Chongzhen sonna la cloche du Palais de la Pureté céleste pour rassembler ses officiels, mais personne ne se présenta. Après 2 siècles, la dynastie Ming avait perdu le pouvoir : le dernier empereur monta sur la colline de charbon en jetant un dernier regard sur la brillante Cité interdite, puis il se pendit au milieu des cris de combat des paysans qui s’étaient révoltés.
Un mois après que la dynastie Ming eut été renversée par Li Zicheng, les Mandchous s’emparèrent de Beijing. La Cité interdite était désormais aux mains d'un nouveau maître, mais le pouvoir impérial, tout comme le palais impérial, continuait à exister comme avant sous la dernière dynastie féodale de la Chine.
Rédacteur: Juliette
Les derniers évènements de la vie politique, économique, culturelle et sociale en Chine comme à l´étranger.
L´Asie Aujourd´hui, c´est un regard complet sur les grands sujets qui agitent le continent, à la fois objectif et replacé dans leur contexte.